Marc Bloch: l’historien sans sa bibliothèque

En complément à mon billet d’introduction et avec une petite pensée pour mes étudiants, à qui j’ai tenté à la dernière session de faire comprendre l’importance de conserver des traces matérielles de leurs connaissances, voici une citation touchante. Elle provient de L’Apologie pour l’histoire, beau livre de Marc Bloch, écrit pendant la Deuxième Guerre mondiale sous le régime de Vichy. Le contexte est dramatique. Sa bibliothèque confisquée et envoyée en Allemagne, vivant dans des conditions très difficiles, Bloch a écrit deux livres lors des années 1940 et 1941 (L’Étrange défaite et L’Apologie pour l’histoire). Le début de L’Apologie pour l’histoire témoigne sans doute mieux que n’importe quoi d’autre du lien de dépendance qui unit l’intellectuel — a fortiori l’historien — et sa bibliothèque.

[…] que j’ajoute encore un mot d’excuse. Les circonstances de ma vie présente, l’impossibilité où je suis d’atteindre aucune grande bibliothèque, la perte de mes propres livres, font que je dois me fier beaucoup à mes notes et à mon acquis. Les lectures complé­mentaires, les vérifications qu’appelleraient les lois mêmes du métier dont je me propose de décrire les pratiques me demeurent trop souvent interdites. Me sera‑t‑il donné un jour de combler ces lacunes ? Jamais entièrement, je le crains. Je ne puis, là‑dessus, que solliciter l’indulgence — je dirais « plaider coupable », si ce n’était prendre sur moi, plus qu’il n’est légitime, les fautes de la destinée. 

Cette dimension matérielle du savoir, « l’objet-livre », « l’objet-note » — incluant la dimension « virtuelle » du savoir  — back-up, photos numériques, etc… qui ont cependant toujours besoin d’un support matériel, le serveur — bref, cette dimension me fascine. Sans doute le fait d’avoir moi-même fait nombre d’allez et retours à l’étranger, marqués de difficiles gestions de transports de bibliothèques toujours plus grosses, fut-il une expérience marquante. Sans bibliothèque, sans notes, on est tous nus. La mémoire défaille sans ces supports externes.

Bibliographie

 

BLOCH, Marc. Apologie pour l’histoire ou le Métier d’historien [1949]. Paris: Armand Colin, 1952. http://classiques.uqac.ca/classiques/bloch_marc/apologie_histoire/bloch_apologie.pdf.