Les guerres civiles péruviennes (3): le soulèvement pizarriste, première partie

Le billet précédent s’était conclu par l’écrasement des troupes almagristes par le gouverneur du roi, Vaca de Castro, et par l’exécution de leur chef, Diego Almagro el Mozo. J’avais souligné que ce conflit marquait le moment où la couronne espagnole commençait à intervenir directement dans les affaires du Pérou. La nouvelle conquête n’était pas achevée, et n’avait pas encore montré tout son potentiel pour l’Espagne (les mines d’argent du Potosí ne seraient découvertes que quelques années plus tard), mais le butin des Pizarros, la densité de la population et le précédent du Mexique montraient déjà que la prise en main des territoires américains devenait un enjeu stratégique essentiel pour accroître la puissance de l’Espagne en Europe. Le soulèvement pizarriste fut une réaction à cette reprise en main. En terminant le billet que j’avais prévu consacrer à ces événements, j’ai constaté que j’avais nettement passé la limite de mots que je me fixe pour un billet, j’ai donc scindé le récit en deux. Cette première partie se termine essentiellement sur le point de non-retour du soulèvement.

Les ambitions de la monarchie

Pour consolider sa position après être arrivé au Pérou, Vaca de Castro commença par s’y comporter comme un chef conquistador parmi d’autres : il organisa de nouvelles expéditions pour occuper les combattants du jour d’avant et donner un nouvel élan à la conquête et il redistribua les encomiendas pour récompenser ceux qui l’avaient soutenu lors du second conflit almagriste et confisquer leurs biens à ceux qui n’avaient pas choisi le bon camp. Restait le problème de Gonzalo Pizarro. Francisco Pizarro, qui avait eu le titre de gouverneur au moment de la conquête, avait indiqué par acte notarié que si quelque chose devait lui arriver (être assassiné entre dans cette catégorie), son frère devait lui succéder comme gouverneur[1]. Pour Vaca de Castro, nommé gouverneur par la Couronne, Gonzalo pouvait donc représenter un rival dangereux, reposant sur une légitimité différente de la sienne. Aussi s’efforça-t-il de le tenir à distance en douceur. Il organisa une cérémonie au cours de laquelle il lui rendit hommage, le récompensa et l’envoya se reposer dans ses propriétés, une manière comme une autre de le tenir à l’écart des décisions[2].

Or, l’arrivée de Vaca de Castro pour mettre fin aux conflits opposant pizarristes et almagristes n’était que le commencement de l’intervention de la Couronne dans la conquête. Bien que la colonie péruvienne n’ait pas encore révélé tout son potentiel pour la politique impériale espagnole (les mines d’argent du Potosí étaient sur le point d’être découvertes, mais on n’y était pas encore), la richesse du butin récolté et la densité de population concernée, tant au Mexique qu’au Pérou était alléchante. En conflit avec les Valois de France, les luthériens d’Allemagne et l’Empire ottoman, Charles Quint avait des besoins financiers criants. Il lui fallait organiser les nouvelles colonies pour en retirer les impôts dont il avait besoin.

Le choc des « Nouvelles lois »

C’est dans ces conditions qu’il faut comprendre l’intérêt marqué par l’Empereur pour les idées défendues par Bartolomé de Las Casas. J’ai déjà dit un mot de ce religieux dominicain, choqué du traitement réservé aux « Indiens ». Bartolomé de Las Casas était convaincu que l’institution responsable de la « destruction des Indes » était l’encomienda, par laquelle on assignait le travail d’un certain nombre d’« Indiens » à un conquistador en récompense des services rendus, et en échange de la protection et l’évangélisation qu’il apporterait aux « Indiens ». C’était l’institution par laquelle les conquistadors épuisaient les autochtones qui leur étaient affectés, déstructuraient leur économie et favorisaient ainsi (involontairement, mais fatalement) la famine et la maladie qui l’accompagnait. Les multiples démarches de Bartolomé de Las Casas et de ses coreligionnaires de l’ordre dominicain ont porté fruit. En 1542, Charles Quint signait à Barcelone un ensemble de lois pour organiser les nouvelles conquêtes d’Amérique. Ces « Nouvelles Lois des Indes » (« nouvelles », parce qu’il y avait eu, en 1512, les « Lois de Burgos » mises à jour et remplacées par les lois émises depuis Barcelone) comprenaient notamment des dispositions pour limiter la portée des encomiendas. La plus importante d’entre elles était qu’on indiquait que celles-ci ne seraient pas héréditaires. Pour les encomenderos, le coup était rude. Il faut dire que Charles Quint n’était pas guidé que par bonté d’âme. Une trop grande puissance et une trop grande richesse des conquistadors risquaient de faire obstacle au renforcement de son autorité en Amérique, donc d’obtenir les richesses qu’il en espérait pour soutenir sa politique européenne. En faisant appel à lui pour prendre la défense des « Indiens », Bartolomé de Las Casas et les dominicains lui fournissaient un moyen et une légitimité pour attaquer la puissance de ses rivaux potentiels. C’est ainsi que peut s’expliquer que Charles Quint ait été favorable aux thèses lascasiennes alors même que, poussée à son aboutissement logique, la doctrine de Las Casas pouvait conduire à remettre en cause l’ensemble de la domination espagnole sur l’Amérique. Dans le cas du Pérou, une autre mesure rendit les Lois Nouvelles encore plus insupportables : tous ceux qui avaient pris part aux vendettas opposant les clans des Pizarros et des Almagros devaient être privés des encomiendas qui leur avaient été attribuées. Autant dire tout le monde[3].  Même Paullu Inca, le frère de Manco et « l’Inca fantoche » des conquistadors, s’était fait attribuer une encomienda, s’insérant ainsi dans le nouvel ordre du pouvoir mis en place par les Espagnols.

Gonzalo Pizarro contre le vice-roi

Pour appliquer les Lois Nouvelles, Charles Quint nomma un vice-roi du Pérou, ainsi que cinq auditeurs formant une chancellerie qui devait agir comme tribunal, organe de législation et d’administration. À l’arrivée du vice-roi Blasco Nuñez de Vela à Lima, les conquistadores les plus influents, de Cuzco, résolurent d’envoyer quelqu’un pour lui faire part de leurs plaintes et revendications contre les Lois Nouvelles. À leurs dires, Bartolomé de Las Casas avait falsifié les faits et avait été un encomendero particulièrement corrompu qui cherchait à se débarrasser de ceux qui avaient été témoins de ses forfaits, témoins qui se trouvaient désormais parmi les conquistadors du Pérou. Pour aller à la rencontre du vice-roi, les encomenderos firent appel au plus prestigieux d’entre eux : Gonzalo Pizarro. Celui-ci commença par mandater un émissaire en Espagne afin de plaider sa cause contre les émissaires du vice-roi. Puis, préférant à la voie de la conciliation celle de l’affrontement, il rassembla une armée de quatre cents Espagnols bien équipés, quelques pièces d’artillerie et quelques milliers d’auxiliaires « indiens » pour se porter à la rencontre du vice-roi, qu’il espérait bien intimider.

Dès lors, chacun comptait ses partisans ; la perspective de devoir entrer en conflit ouvert avec leur roi ne réjouissait guère bien des conquistadores qui firent défection du clan de Pizarro. Depuis son refuge de la forêt, Manco Inca pensa qu’il pourrait jouer le vice-roi contre Pizarro : il envoya en émissaire auprès du premier l’un des almagristes qui s’étaient réfugiés près de lui après la dernière guerre civile. Quel que soit l’accord auquel il parvint, toutefois, un malencontreux incident y mit fin : au retour de l’émissaire, l’Inca et lui jouèrent à une partie de boules et ce dernier, irrité pour une obscure raison, en frappa l’Inca et lui brisa le crâne. Manco désigna son successeur sur son lit de mort, qui exécuta l’Espagnol et ne poursuivit pas les démarches entreprises par son prédécesseur [4]. Entre-temps, les défections qui avaient frappé le camp pizarriste étaient telles que Gonzalo envisageait de prendre la fuite face au vice-roi : cependant, quelques importants partisans de celui-ci changèrent de camp à la dernière minute. Gonzalo Pizarro se retrouva en position de force.

La démarche d’intimidation porta quelque peu : à son approche, le vice-roi annonça qu’il suspendait pour deux ans l’application des Lois nouvelles. Comme Pizarro n’arrêta pas sa marche pour autant, le vice-roi envisagea de brûler la ville et de se retirer dans un site plus facile à défendre. Les auditeurs s’opposèrent à ce projet et firent mettre Nuñez de Vela aux arrêts par un capitaine qui leur était acquis ; le vice-roi parvint cependant à s’enfuir à l’occasion d’une émeute. Les auditeurs s’entendirent ensuite pour rendre à Pizarro le titre de gouverneur que ce dernier estimait lui revenir de droit. Le 28 octobre 1544, Pizarro et son armée, qui comptait désormais environ 1200 Espagnols, entrèrent à Lima [5]. L’ancien gouverneur Vaca de Castro s’enfuit à Panama ; l’expédition  envoyée à sa poursuite saccagea la ville [6] et Vaca de Castro se réfugia aux Açores où il attendit sans bouger la suite des événements. Le vice-roi, pour sa part, parvint à gagner Quito où, menant une campagne de propagande où il faisait passer Gonzalo Pizarro pour un tyran, il rassembla une armée considérable. Cependant, Gonzalo Pizarro, plus rusé, parvint à faire sortir le vice-roi de la cité et l’affronta sur un terrain favorable. Le vice-roi fut battu et tué à Añaquito, le 18 janvier 1546. Mais Pizarro triomphait, mais au prix d’une rébellion ouverte contre le roi.

Notes

[1] Bernard LAVALLÉ, Francisco Pizarro: conquistador de l’extrême, Paris, Payot, coll. « Biographie Payot », 2004, p. 303.

[2] Ibid., p. 296.

[3] Carmen BERNAND et Serge GRUZINSKI, Histoire du Nouveau Monde. 1, 1, Paris, Fayard, 1991, p. 519.

[4] Ibid., p. 521.

[5] Bernard LAVALLÉ, Francisco Pizarro, op. cit., p. 303‑305.

[6] Carmen BERNAND et Serge GRUZINSKI, Histoire du Nouveau Monde. 1, 1, op. cit., p. 523.

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Bartolomé de Las Casas: une colonisation pacifique?

Dans un précédent billet, j’ai évoqué les premiers critiques de l’encomienda dans le système colonial espagnol. Je souhaite maintenant aborder un peu Bartolomé de Las Casas. Connu comme défenseur des Indiens, les nuances du personnage demeurent mal connues du grand public. Ce n’est pas faute, pourtant, de manquer de documentation ou de bonnes biographies sur celui-ci : il a beaucoup écrit et a suscité une grande fascination – ainsi que des détracteurs acharnés qui l’accusaient de salir la réputation de l’Espagne[1]. Le personnage étant un peu trop complexe pour être traité entièrement dans un seul billet, je me contenterai ici d’évoquer un aspect mal connu de son évolution, dans une première phase de sa défense des Indiens.

Étant arrivé dans l’île d’Hispaniola (Saint-Domingue) pour se joindre à l’expédition de conquête de Cuba et y devenir lui-même un encomendero, Las Casas ne paraît initialement pas destiné à devenir un critique de cette institution. Cependant, après le sermon de Montesinos que j’ai évoqué dans le précédent billet, il semble que la pratique se soit répandue chez plusieurs dominicains de l’île de refuser l’absolution aux encomenderos qui souhaitaient se confesser. Un tel refus ébranla Las Casas et semble être un motif de ce que certains appellent sa « première conversion » : il abandonna son encomienda en 1515 et commença à travailler avec les dominicains pour combattre cette institution[2].

Dans un premier temps, la réflexion de Bartolomé de Las Casas ne remettra pas en cause les fondements du pouvoir colonial. Convaincu avec beaucoup d’autres que Dieu avait permis la découverte de l’Amérique pour favoriser l’évangélisation des Indiens, il tentera plutôt de penser une colonisation sans encomienda ni violence. Proposant son projet au roi, il doit également lui en montrer l’intérêt, autrement dit, s’il peut mettre en cause les formes du travail exigé des Indiens, il ne pouvait cependant le remettre en cause et devait garantir au roi que ce contrôle lui permettrait d’accroître les revenus de la Couronne. Après un premier mémoire parfois qualifié « d’utopiste », les premiers projets de Las Casas se mettent en place au moment où la colonisation passe de sa phase antillaise à l’arrivée des Espagnols sur le continent – la « Terre ferme » comme ils disaient (plus tard, ce nom sera réservé aux premières côtes continentales explorées, en Amérique centrale et au Venezuela). Elle concorde avec le début du règne de Charles Quint en Espagne, avec la conquête de l’Empire Aztèque par Hernán Cortés et avec les révoltes des Comunidades en Espagne, qui accapareront l’attention du monarque et perturberont un peu les communications entre l’Espagne et les « Indes ». Le projet de colonisation pacifique imaginé par Las Casas recevra en 1519 l’appui du chancelier de l’Empereur, Mercurino di Gattinara, qui lui permettra d’obtenir une concession de 260 lieux (au lieu des 1000 demandées). Le projet proposé par Las Casas laissait entendre que la colonie pourrait, par l’agriculture et le commerce, procurer des revenus de 15 000 ducats après trois ans et de 60 000 après dix[3]. Citons longuement le récit de Bernard Lavallé :

Après la mort de Cisneros, Bartolomé de Las Casas s’est efforcé de gagner de nouveaux appuis dans son combat contre l’encomienda. Entre 1517 et 1521, il a tenté d’imaginer et de mettre en oeuvre un projet de colonisation qui ne reproduirait pas les cruautés auxquelles il avait assisté. Il tente ainsi de faire « envoyer à Hispaniola des colons laboureurs espagnols placés sous l’autorité directe du roi et chargés dans certains villages d’enseigner par leur exemple aux familles indiennes les techniques de travail et le mode de vie européen. »[4] Mais ceux-ci ne purent trouver les terres promises et se fondirent parmi les autres Espagnols, dont ils adoptèrent les comportements à l’égard des Indiens. L’autre projet de Las Casas était de coloniser le continent. « Il consistait à fonder sur plusieurs centaines de lieues de côté (de l’est de la Colombie à l’est du Venezuela aujourd’hui) des villages d’Espagnols. Ces nouveaux colons, faits « chevaliers aux éperons dorés », étaient dotés d’un statut personnel très favorable, mais s’engageaient à ne pas se faire attribuer d’Indiens en encomienda, le système d’exploitation généralisé dans l’Empire espagnol, et à se comporter avec eux de façon à « les inciter à aimer et à fréquenter les Espagnols ». Pour ne pas exiger de corvées, chaque colon pourrait emmener jusqu’à dix esclaves noirs. Tous les Indiens capturés seraient libérés. Douze franciscains et douze dominicains seraient chargés du travail évangélique dans cette colonisation « douce ». »  Ce projet n’a guère abouti. Les quelques colonies sur le terrain se brouillèrent rapidement avec les Indiens; la mission dominicaine de Chiribichí (Venezuela) fut massacrée par les Indiens; ce fut ensuite au tour de la mission franciscaine de Cumaná.[5]

L’échec de cette tentative poussera Bartolomé de Las Casas à faire sa « seconde conversion », prenant l’habit de dominicain en 1523. Les années suivantes seront consacrées à un travail de réflexion approfondie, notamment sur une méthode d’évangélisation des Indiens fondée sur la raison[6]. Mais l’idée de mettre en place une colonisation pacifique n’a pas disparu de ses projets avec la chute de Cumaná. On peut en effet lire le projet d’une colonisation pacifique dans la lettre qu’il écrit au Conseil des Indes en 1531. Dans cette lettre, il signale d’abord aux membres du Conseil des Indes que leurs responsabilités considérables envers les sujets de l’Empereur — incluant les Indiens — mettent leurs âmes en péril, car ils doivent tout faire pour assurer leur évangélisation, sous peine de péché mortel. Il leur rappelle par ailleurs leur avoir déjà parlé de la situation des Indes, où l’évangélisation est délaissée et les Indiens massacrés par esprit du lucre et qu’ils ne peuvent plaider l’ignorance.

Il faudra que Vos Seigneuries et Grâces ordonnent de bannir de toutes les contrées de ce Nouveau Monde les chrétiens qui y gouvernent et créent la désolation (car ils sont incapables et peu leur importe de verser le sang) ; qu’ils soient remplacés par des personnes craignant Dieu, à la conscience droite et de grande vertu. Qu’à chacun de ceux qui auront charge de gouverner soient adjoints, par vos ordres, quinze à vingt religieux, de l’ordre de Saint François ou de celui de Saint Dominique, ou des deux ; des hommes éminents par la sainteté et par la science, qui ne prétendent qu’à la gloire de Dieu ; à la grandeur de sa foi et de son Église, et au Salut des âmes. Dans ces deux ordres, vous trouverez beaucoup d’hommes dont le seul désir est de voir écartés les empêchements à la prédication et à l’enseignement de la foi chrétienne aux Indes, et prêts à mourir pour le Christ. Vos Seigneuries s’emploieront à ce que Sa Majesté choisisse parmi ces hommes de Dieu des évêques destinés à ces régions et détermine les limites de leurs diocèses.

Sa Majesté devra dire, tant à l’évêque qu’aux religieux : « Père (ou Pères), je confie et délègue à vos consciences la charge et le soin de la conversion de ces infidèles que j’ai reçus de Dieu et de son vicaire le pape. Tout comme pour moi ce doit être pour vous une tâche qui vous tienne à cœur plus que tout autre : vous employer, de toutes les façons (qui sont conformes à la loi de Dieu, à la volonté du Christ, à l’exemple de ses Apôtres et au précepte du pape que les rois de Castille ont dans le cas présent à conduire), à convertir, à attirer, tous les peuples des régions dont vous avez la charge, et de procéder de façon à ce qu’ils parviennent aisément à la connaissance de Dieu et à l’adoption de notre sainte foi catholique. Pour votre protection, je vous donne telle caballero accompagnée de cent hommes ; ils auront pour charge de construire une forteresse, des ouvrages de défense et des abris, et, en général, tout ce qui vous semblera bon de faire. Quand vous aurez rassuré et pacifié les gens de cette contrée, quand vous les aurez amenés à la connaissance et à la crainte de Dieu, au moment qui vous paraîtra le plus opportun, je vous prie, mes Pères, de vous employer à persuader ces gens de me payer le tribut qui m’est dû en raison de la suprématie qui me revient sur eux.[7]

À la fin de la lettre, un post-scriptum est ajouté. Il mentionne deux éléments supplémentaires à son projet de colonisation, dont un qu’il allait par la suite amèrement regretter, croyant qu’il s’était peut-être condamné à l’enfer[8] :

“dans les forteresses qu’il y a à faire, on peut aussi installer les villages des chrétiens qui voudront, sans pour autant recevoir un salaire du roi, s’y installer pour vivre de leurs exploitations agricoles. Ils pourront emmener des esclaves nègres ou maures ou autres, pour les servir et travailler de leurs mains, ou d’une autre manière sans préjudice pour les Indiens.”[9]

L’insistance sur les forteresses, qui devaient être “sur la côte maritime dans quelque port approprié”[10] se comprend peut-être en raison de l’échec de son projet de colonisation au Venezuela. Les escarmouches entre les deux camps ayant mené à l’élimination des colonies par les contre-attaques indiennes il est possible que Las Casas ait cru qu’un dispositif défensif était indispensable pour “pacifier”, comme il le dit, les Indiens. Il ne s’en explique pas de manière claire dans ce document. Chose certaine, il craignait que les colons ne dépassent les bornes, en avait même une quasi-certitude, même si les colons étaient triés sur le volet sur des critères moraux, “parce que ceux qui ont ici un poste de commandement deviennent vite audacieux, perdent la crainte de Dieu, la foi, la fidélité à leur roi et l’honneur”[11]. Si une telle chose arrivait, la répression des abus devait être sévère, cruelle : “que la moindre et la plus petite [initiative outrepassant les directives royales], la première et la dernière peine que vous lui donnerez ne soit autre que de l’écarteler en huit et de mettre chaque morceau aux confins de la province. S’il n’en était pas fait ainsi, Seigneurs, il n’y aurait pas de remède. Alors tout serait paroles, tromperie et moquerie, comme jusqu’à présent.”[12]

Ces projets de colonisation pacifique montrent chez Las Casas une certaine logique qui n’était pas encore parvenue à son aboutissement. La trajectoire du dominicain est souvent lue comme une trajectoire de radicalisation dans l’opposition à la colonisation. Elle est également souvent lue comme de plus en plus nourrie de réflexion théorique et fondamentale sur les fondements juridiques de la domination coloniale des Espagnols. Déjà en 1531, il rappelle que seule l’évangélisation peut justifier la souveraineté de l’Empereur sur les Indes, mais que par ailleurs, la violence de la conquête corrompt et empêche l’évangélisation. Dans un temps, et c’est la raison pour laquelle Gattinara et Charles Quint lui offriront leur appui, ses thèses offrent des outils pour légitimer la domination impériale sur l’Amérique et centraliser les pouvoir. Mais sur le plus long terme, les thèses lascasiennes pouvaient aboutir à une remise en cause complète de la colonisation et de la domination impériale. Au début du règne de Philippe II, le vice-roi du Pérou Francisco de Toledo combattit pour cette raison les dominicains qui avaient repris les thèses de Las Casas[13].

 

Notes

[1] Gilles BIBEAU, Andalucía: l’histoire à rebours, Montréal, Québec, Mémoire d’encrier, coll. « Cadastres », 2017, p. 102‑103.

[2] Luis MORA RODRÍGUEZ, Bartolomé de Las Casas: conquête, domination, souveraineté, 1re édition., Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Fondements de la politique. Série essais », 2012, p. 34‑35.

[3] Rebecca Ard BOONE, Mercurino di Gattinara and the Creation of the Spanish Empire, London and Brookfield, Pickering & Chatto, 2014, p. 39.

[4] Bernard LAVALLÉ, Au nom des Indiens: une histoire de l’évangélisation en Amérique espagnole: XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Rivages, 2014, p. 30.

[5] Ibid., p. 31.

[6] Luis MORA RODRÍGUEZ, Bartolomé de Las Casas, op. cit., p. 40‑41.

[7] Ibid., p. 32‑33.

[8] Bartolomé de las CASAS et Charles GILLEN, Une plume à la force d’un glaive: Lettres choisies, Paris, Cerf, 1996, p. 41‑42.

[9] Ibid., p. 38.

[10] Ibid., p. 35.

[11] Ibid., p. 34.

[12] Ibid., p. 35.

[13] Bernard LAVALLÉ, Au nom des Indiens, op. cit., p. 50.

Jérôme Balbi, propagandiste impérial

Dans une série de trois billets, j’ai proposé un aperçu de l’argumentation proposée par Dante en faveur de la domination de l’empereur sur le monde chrétien (et à travers celui-ci, sur l’humanité entière). Comme je l’ai précisé, Dante écrivait au début du XIVe siècle. Mon billet d’aujourd’hui portera sur un autre propagandiste impérial, moins connu, écrivant pour sa part au XVIe siècle. Jérôme Balbi, humaniste originaire de Venise, était un juriste au service de Charles Quint, auteur d’un traité sur le couronnement impérial. N’ayant pas lu De Coronatione, je me fonde ici entièrement sur l’analyse qu’en fait Juan Carlos d’Amico, qui lui consacre un chapitre entier dans un livre sur le couronnement de Charles Quint   .

Le confesseur de l’empereur, García de Loaysa, lui avait commandé un traité dans lequel il répondrait à deux questions  :

  1. La cérémonie du sacre était-elle nécessaire pour que l’empereur jouisse pleinement de son autorité, ou l’élection était-elle suffisante?
  2. Pour être valide, la cérémonie du couronnement impérial devait-elle obligatoirement se dérouler dans la basilique de Saint-Pierre de Rome?

En 1530, l’entourage de Charles Quint planifiait d’effectuer un couronnement à Bologne. La première question devait permettre de déterminer l’autorité de l’empereur avant le sacre. Puisque le sacre devait être précédé de rencontres diplomatiques susceptibles de reconfigurer en profondeur la géopolitique de la péninsule italique, l’enjeu était majeur et il fallait s’assurer que rien n’entacherait sa légitimité au moment de ces négociations. La seconde devait permettre d’effectuer le couronnement à Bologne, une ville d’où il pourrait partir rapidement, avec ses troupes, vers l’Allemagne, si les luthériens se faisaient menaçants, ou en Hongrie, si l’avance turque devenait inquiétante. Pour répondre à ces questions, Jérôme Balbi produisit un traité qui développait en profondeur l’idéologie impériale.

Pour Balbi, l’empereur était un Minister Dei, un ministre de Dieu. Il recevait son autorité directement de Dieu, et non par l’intermédiaire du pape, comme l’affirmaient les défenseurs de la prépondérance pontificale. Cette qualification est la pierre angulaire de son argumentation. La mission sacrée de l’empereur de défini par rapport au pape et par rapport à l’ensemble de la Chrétienté.

Balbi affirmait également, comme Dante, qu’il était préférable, pour que la paix et la justice règnent sur le monde, qu’une seule personne le gouverne intégralement. Pour affirmer la suprématie de l’empereur, il prenait l’exemple du pape : puisque le pouvoir spirituel lui venait directement de Dieu, l’ensemble des souverains de la Terre s’y rapportaient pour des questions spirituelles. Il devait en être, selon Balbi, de même pour l’empereur : puisque le pouvoir temporel lui venait directement de Dieu, l’ensemble des souverains de la Terre devait se rapporter à lui sur ces questions . En citant de nombreux textes de droit canon et de droit civil, Balbi avançait que l’empereur est le « seigneur de tout le monde ». Il allait ainsi à l’encontre des thèses développées au XIVe siècle par les juristes français de Philippe le Bel qui, s’opposant aux velléités théocratiques du pape Boniface VIII, avaient défendu l’autonomie des rois en disant que chaque roi était « empereur en son royaume ». D’Amico résume les implications de l’argumentation de Balbi : « Toute nation doit être soumise au pouvoir impérial, car l’Empire a une origine divine et celui qui contrevient à un ordre de l’empereur contrevient à un ordre divin; celui qui cherche à saper la maiestas impériale commet un sacrilège et celui qui n’admet pas de s’assujettir à son pouvoir doit perdre son droit de succession. » 

Le second aspect du conflit entre le pape et l’empereur se dessinait sous l’angle de la prééminence historique. On a vu que Dante défendait l’idée que l’Empire [romain] était antérieur à la papauté, ce qui excluait que celle-ci puisse lui être supérieure. Les défenseurs de la supériorité pontificale avançaient, eux, que la papauté était antérieure à l’Empire romain. Pour soutenir cette position — qui peut nous paraître surprenante —, ils avançaient que lorsque Constantin remit les insignes impériaux au pape Sylvestre, c’était un geste symbolique signifiant qu’il n’y avait eu avant lui aucun empereur légitime. Pour Balbi, l’empire était antérieur à la papauté, et donc supérieur en dignité, mais devait se plier aux décisions spirituelles du Pape, sous peine d’excommunication. Contre l’idée que c’était le pape qui donnait sa légitimité à l’empereur par le sacre, il avançait que la situation avait été inversée à l’époque des Ostrogoths — c’était l’empereur qui confirmait le pape dans ses fonctions . Il s’ensuivait naturellement de ce constat que la réponse à l’une des questions posées, « le sacre est-il nécessaire pour que l’empereur jouisse pleinement du pouvoir accordé à sa fonction? », était négative, puisque les précédents montraient que l’empereur avait pu régner alors que le pape ne le confirmait pas dans ses fonctions.

La réponse à l’autre question, si le sacre devait ou non être tenu à Rome, avait bien entendu également une réponse négative — après tout, on avait engagé Balbi pour défendre les intérêts de l’empereur. Le juriste a par conséquent défendu l’idée que le lieu de la cérémonie était accessoire par rapport à son contenu. Élément intéressant, sur les trois sacres que devait recevoir l’empereur (à Aix-la-Chapelle comme Roi des Romains, à Monza comme roi d’Italie et à Rome comme empereur), seul le dernier devait être fait par le pape. Or, Balbi soulignait que les lieux des deux premiers sacres avaient été modifiés par le passé sans porter atteinte à leur légalité et qu’il devait ainsi en être de même pour le troisième. En mettant les trois couronnements sur un pied d’égalité, Balbi réduisait subtilement le prestige du pape. Il estimait même qu’un légat pouvait remplacer le pape lors du sacre. Autre argument, le lieu de couronnement du pape lui-même avait parfois été modifié par le passé. Il n’y avait donc aucune raison que ce ne soit pas le cas pour celui de l’empereur.

Je terminerai ce billet par une citation de Juan Carlos d’Amico qui situe Balbi par rapport à Dante et Marsile de Padoue.

Toutes proportions gardées, Jérôme Balbi s’inscrit dans la même tradition que Dante, Marsile de Padoue ou Nicolas de Cues. On trouve chez lui un écho de Dante dans le respect filial que l’empereur devait porter au pape, tout en gardant l’espoir de restaurer la grandeur impériale. Comme Dante, Jérôme Balbi sépare l’ordre spirituel de l’ordre temporel, qui restent sur le même plan mais sont confiés à deux autorités différentes, le pape et l’empereur. Par rapport à Marsile de Padoue, Balbi se montre beaucoup plus conciliant envers l’Église. Marsile, par exemple, ne séparait pas les deux pouvoirs, il les déférait uniquement à l’empereur, se plaçant ainsi à l’opposé des défenseurs de la pleine puissance pontificale. Dans son Defensor Pacis, il nie l’origine divine de l’institution de l’Église et considère que le pape dépend de l’autorité d’un concile. Contrairement à Marsile de Padoue, Balbi, en détachant nettement les deux sphères d’action, n’accepte pas la juridiction de l’empereur dans le domaine spirituel et lui refuse ainsi, indirectement, la possibilité de pouvoir convoquer un concile. Cette considération ne pouvait que soulager le pape et son entourage.

Bilbiographie

La Monarchie de Dante (3): L’Empereur contre le Pape

Après s’être efforcé de démontrer que la Monarchie universelle était le seul moyen pour le genre humain de vivre en paix et d’accomplir sa vocation, puis de démontrer que la Monarchie devait légitimement revenir au « peuple romain », Dante s’attaque, dans le troisième livre de La Monarchie, à l’un des problèmes de fond du Moyen Âge, le conflit entre l’Empire et la Papauté pour la suprématie :

Donc la question présente, sur laquelle portera notre enquête, concerne les deux grands luminaires, à savoir le Pontife romain et le Prince romain; la question est de savoir si l’autorité du Monarque romain, qui est de droit le Monarque du monde, comme cela a été démontré dans le deuxième livre, dépend immédiatement de Dieu ou bien d’un vicaire ou d’un ministre de Dieu, j’entends le successeur de Pierre, celui qui détient véritablement les clefs du royaume des cieux. (p.489)

Les fondements de la légitimité du pouvoir y sont clairs : pleinement chrétien, Dante estime que la légitimité du pouvoir dépend de la volonté divine. Le problème pour le pouvoir impérial se pose avec évidence : si la légitimité dépend de Dieu, alors le Pape n’a-t-il pas le pouvoir de faire et défaire les Empereurs? C’est pour réfuter ces idées que les théoriciens gibelins (en faveur de l’Empereur) ont défendu l’idée que le pouvoir impérial dépendait directement de Dieu, sans l’intermédiaire pontifical. C’est bien entendu l’orientation adoptée par Dante. Pour ce faire, il doit d’abord écarter un adversaire : les professeurs de droit canon qui appuient la supériorité du pape, qu’il appelle les « décrétalistes », « qui, ignorant tout à fait la moindre notion de théologie et de philosophie, s’appuient avec obstination sur leurs Décrétales » (p.490). Il note la différence entre ce thème et les deux précédents : « […] tandis que dans les autres cas c’est l’ignorance qui d’habitude provoque les disputes, dans celui-ci c’est plutôt la dispute qui provoque l’ignorance. » (p.490). Contre les décrétalistes, il s’agit d’abord pour Dante de minorer l’importance des décrétales par rapport à l’Ancien et au Nouveau Testament, de même que par rapport aux écrits des docteurs de l’Église. Ce faisant, il place le débat sur un terrain qu’il maîtrise mieux et se donne les moyens de l’emporter. Mieux : il exclut les décrétalistes du débat.

Il revient ensuite sur les arguments avancés par ses adversaires « de bonne foi », quoiqu’« ignorants ». Ils sont de trois ordres: les premiers reposent sur des métaphores bibliques, les seconds sur des appels à l’histoire et les troisièmes sont des arguments « de pure raison ». Je passerai rapidement sur les deux premières catégories, bien que Dante y consacre beaucoup d’espace. Concernant les arguments religieux, il s’agit surtout de récuser des analogies que les partisans du pape trouvent dans la Bible (métaphore des « deux luminaires », le Soleil-pape et la Lune-empereur; une analogie avec Lévi et Judas, une autre avec Samuel et Saül). L’argumentation historique revient également à réfuter des arguments adverses. Les partisans du Pape avançaient que le Pape avait reçu le siège de l’Empire (Rome), en don de l’Empereur Constantin (la Donation de Constantin). Si le Pape était ainsi propriétaire de Rome, on ne pouvait être Empereur qu’avec sa bénédiction. À partir de la fin du XVe siècle, ce type d’arguments sera combattu par les partisans de l’Empereur en affirmant que la fameuse Donation était une falsification (ce qu’elle était en vérité). Mais Dante n’a pas cet argument à sa disposition, et il cherchera plutôt à démontrer que Constantin n’avait pas le droit de faire ce don.

Restent les arguments de « pure raison », soit ceux qui s’appuient sur La métaphysique d’Aristote. Voici comment Dante résume l’argument de ses adversaires :

toutes les choses appartenant au même genre sont ramenées à une seule chose, qui est la mesure de toutes choses placées sous ce genre; or tous les hommes appartiennent au même genre; donc ils doivent être ramenés à un seul homme, comme à leur mesure commune. Et puisque le souverain Pontife et l’Empereur sont des hommes, si cette conclusion est vraie, il faut qu’ils soient ramenés à un seul homme. Or le Pape ne pouvant être ramené à quelqu’un d’autre, il reste donc que l’Empereur, ainsi que tous les autres hommes doivent être ramenés à lui comme à leur mesure et règle. Il s’ensuit ce qu’ils veulent prouver. (p.507)

L’argument est embarrassant pour Dante, car il est très proche de celui qu’il a lui-même évoqué au premier chapitre pour démontrer la nécessité d’un empereur pour gouverner le monde. Pour le réfuter, Dante s’en prend par conséquent à l’autre prémisse, soit que le Pape et l’Empereur devraient être ramenés à un seul (c’est-à-dire sous l’autorité d’un seul) parce qu’ils sont tous deux des hommes. S’il admet que l’un et l’autre sont des hommes, il estime que les fonctions de Pape et d’Empereur en elles-mêmes ne peuvent être ramenées au genre « homme ». « Homme » est une substance, dit-il, tandis qu’« Empereur » et « Pape » sont des relations. Les relations qu’ils incarnent n’étant pas interchangeables, il estime qu’ils ne peuvent être ramenés l’un à l’autre (donc l’un sous la domination de l’autre).

Après avoir réfuté les arguments de ses adversaires, Dante conclut ce dernier livre en cherchant à avancer un argument démontrant sa thèse : « La démonstration aura été menée à bien si l’autorité de l’Empire apparaît dégagée de celle de l’Église — car aucune autre autorité ne fait l’objet de controverse — ou bien si, de manière directe, l’on prouve qu’elle dépend directement de Dieu. » (p.509) Il pose d’abord que, l’Empire ayant historiquement précédé l’Église, celle-ci ne peut avoir été la « cause » de celui-là. Par conséquent, estime-t-il, l’autorité de l’Empire ne peut provenir de l’Église. Ensuite, il revient à l’idée, exposée dans le premier livre, selon laquelle l’homme doit réaliser la fin pour laquelle il a été créé. Cette fois, il avance que l’homme a deux fins : vivre heureux sur terre en philosophant et vivre heureux dans l’au-delà en se sauvant selon les commandements divins. Ces deux fins distinctes doivent être protégées, la seconde par le Pape qui doit s’assurer que les hommes suivent les commandements divins, la première par l’Empereur qui doit assurer la paix et la liberté favorisant la philosophie. De cette distinction, Dante estime démontrée que l’autorité de l’Empereur procède directement de Dieu sans l’intermédiaire de la Papauté.

Deux siècles plus tard, alors qu’il s’efforçait de promouvoir la politique de Charles Quint, élu empereur en 1520 (à vérifier) et couronné à Bologne en 1530, le chancelier Mercurino Gattinara eut connaissance du traité d’Érasme. On se doute maintenant de tout l’intérêt qu’il y trouva : il y avait là une argumentation étoffée en faveur de la domination du monde par l’Empereur. De plus, alors que Charles Quint était en conflit ouvert avec le Pape, il y avait là une argumentation systématique pour dégager l’Empereur de l’autorité pontificale. Il n’y a pas à se surprendre que, bien qu’il ne semble pas que Gattinara se soit directement inspiré de l’oeuvre de Dante, il ait voulu en tirer profit.