Le dilemme républicain fut-il résolu par les Anglais?

Mon précédent billet sur le dilemme républicain exposait le concept de « dilemme républicain », tel qu’il fut formalisé à partir d’une lecture d’auteurs républicains classiques. Je m’appuyais principalement sur un article de Geoff Kennedy, que je n’ai pas analysé en entier. Dans ce billet-ci, je souhaiterais revenir sur la seconde partie de l’analyse.

Comme je l’ai indiqué dans le premier texte, Kennedy suggère que les républicains anglais ont cru avoir résolu la contradiction entre la liberté républicaine et l’expansion de la république. Pourtant, comme il le souligne, on peut difficilement présumer que c’est simplement par supériorité intellectuelle qu’ils ont résolu un problème que les Florentins, notamment Machiavel, ont considéré comme insoluble. Pour Kennedy, c’est la transformation des structures de propriété qui ont amené la résolution du problème. J’exposerai d’abord son analyse, fort intéressante, avant d’en formuler ma critique.

C’est donc une volonté de réinsérer l’histoire des idées dans le cadre d’une analyse plus sociologique et plus matérialiste qui guide la suite de l’article. Geoff Kennedy souligne d’ailleurs ce que son analyse doit à la contribution marxiste à l’histoire des relations internationales . Sous cet angle, la question qu’il pose est la suivante : comment les problématiques sur lesquelles ont réfléchi les penseurs politiques des deux époques ont-elles été façonnées par certaines structures sociales, notamment celles de la propriété?

La distinction principale soulevée par Kennedy repose sur le fait qu’à Florence, il n’existait pas de distinction formelle entre le politique et l’économique. Société pré-capitaliste, les producteurs y étaient le plus souvent en possession des moyens de production, comme propriétaires ou locataires. La puissance militaire y était donc garante de la domination des puissants et de leur capacité à s’enrichir sur le dos des faibles. La société florentine était organisée par un système de corporations de métiers, qui organisait à la fois la vie économique en régulant les principaux domaines de l’artisanat et du commerce et en participant à l’organisation du gouvernement de la cité.

Voilà où réside la contradiction de la république florentine : l’existence de guildes, comme forme de propriété constituée, servit à étendre les auspices de l’état républicain, tandis qu’elle servait en même temps comme un moyen de pousser plus loin le type de compétition et de factionalisme qui gangrénait Florence.

Dans la mesure où les corporations jouaient un rôle dans la constitution des factions politiques, l’expansion commerciale florentine alimentait les conflits politiques internes de la cité. Le succès d’un secteur ou d’un autre pouvait déséquilibrer le rapport de force à l’intérieur de la cité. Face aux renforcements d’un groupe particulier, la réponse pouvait être d’élargir le recrutement des corporations pour court-circuiter le clientélisme du groupe dominant. Mais c’est précisément cet élargissement de la citoyenneté qui pouvait poser problème . Dans la situation des cités-états italiennes, qui maintenaient une domination fragile sur leur contado (région environnante — la Toscane ou une partie de celle-ci dans le cas de Florence), l’expansion territoriale n’était pas l’avenue naturelle du maintien de la puissance d’une cité (ou du maintien d’une puissance suffisante pour la prémunir contre les cités rivales). C’était donc l’expansion commerciale qui fournissait les revenus nécessaires pour payer les armées — souvent les armées de mercenaires — qui devaient défendre la République. Mais alors, ces mercenaires devenaient un péril.

Tandis que Machiavel se méfiait des marchands et des banquiers, une partie des républicains anglais a vu dans le développement du commerce et des banques l’une des conditions de la force d’une république, identifiant progressivement les intérêts de la classe marchande avec les intérêts de la république elle-même. Pour Kennedy, deux nouveautés expliquaient cette transformation du républicanisme :

  1. Le développement du capitalisme agraire avait transformé la nature des relations entre l’État et la société.
  2. L’émergence d’une alliance entre les nouveaux marchands, les républicains et les aristocrates propriétaires terriens.

D’une manière générale, ces évolutions dépendaient de l’émergence d’une agriculture destinée à l’exportation a lié les intérêts des propriétaires terriens à ceux d’un nouveau groupe de commerçants. La nature du commerce dominant de l’Angleterre commença à changer : produits agricoles plutôt que produits de luxe. La puissance militaire de la république changeait donc de fonction : il ne s’agit plus tant de produire une expansion territoriale dont on pourrait extraire de nouveaux impôts en taxant la production agricole, mais de gagner et sécuriser de nouveaux marchés servant à écouler la production de la métropole.

La nature de la représentation politique était également différente. Plutôt que d’être fondé sur les corporations de métier et de commerce, la représentation était, en Angleterre, fondée sur la propriété privée. Des corporations de marchands existaient, mais leur rôle se résumait à la régulation du marché. Il s’agissait d’éviter de saturer ce dernier et de contrôler le nombre de marchands en activité. Or, l’ancienne classe marchande était économiquement et politiquement liée à la Couronne. Ces deux groupes s’accordaient un support mutuel. Ainsi, les marchands établis pouvaient compter sur la couronne pour s’opposer à l’émergence de la nouvelle classe marchande, qui risquait de se poser en rivale des premiers. Les guildes étaient un instrument pour faire obstacle aux nouveaux marchands.

Une différence entre les situations anglaise et florentine apparaît alors clairement. Alors que les républicains florentins cherchaient à étendre le pouvoir des guildes et leur nombre d’adhérents pour contre-balancer le pouvoir de certaines factions, les républicains anglais voulaient au contraire les supprimer, car ils voyaient en elles un pouvoir illégitime. L’idéologie républicaine permettait d’affirmer que la monarchie absolue était un obstacle à la grandeur de l’Angleterre. Cela favorisa l’alliance entre la nouvelle classe marchande, qui recherchait de nouveaux marchés pour les produits agricoles, et les républicains proches de l’oligarchie qui valorisaient la vie dans un « État libre ». Ce serait en grande partie pour ces raisons qu’une partie des républicains anglais se seraient montrés sensibles à l’idéologie de « l’intérêt égoïste » au service du bien commun que les penseurs mercantilistes développaient alors.

Les républicains qui ont embrassé les nouvelles valeurs commerciales et la conception de l’intérêt comme substituts des notions classiques de la vertu ont également embrassé l’impérialisme républicain; tandis que les républicains qui adhéraient à la notion classique de la vertu ont rejeté l’expansionnisme et embrassé le républicanisme de préservation. Athènes et la Hollande sont devenues les modèles pour le premier, Venise et Sparte furent les républiques idéales exaltées par les seconds, Rome étant souvent revendiquée — dans différentes incarnations — par les deux côtés .

Kennedy précise toutefois que, malgré cette évolution importante, il ne faut pas voir dans les républicains anglais des thuriféraires du capitalisme émergent. À son avis, ces derniers n’ont jamais abandonné les principes fondamentaux qui, plus tard, fonderont l’opposition républicaine au capitalisme (on se reportera à ce billet de Gabriel pour s’en faire une idée). Néanmoins, dans la configuration anglaise du XVIIe siècle, alors que l’expansion commerciale garantissait la force de ceux qui s’opposaient à l’absolutisme royal, il pouvait être tentant de rejeter la formulation du dilemme républicain et d’affirmer que l’expansion commerciale était la clé de la liberté.

Réflexions finales

D’un point de vue méthodologique, l’article de Kennedy montre sans équivoque l’intérêt de procéder à une critique des textes de la philosophie politique en utilisant les outils de l’histoire socio-économique. J’aurais aimé cependant qu’il développe plus clairement l’évolution de la pensée républicaine anglaise. Certains des mécanismes qu’il décrit me semblent encore assez flous (ou est-ce en raison de mes lacunes en histoire anglaise?). J’aurais notamment aimé une analyse plus approfondie des critiques adressées au capitalisme émergent par les « républicains classiques » et des arguments avancés par les « républicains de l’intérêt » pour démontrer qu’ils avaient résolu le fameux dilemme républicain. Ces développements auraient peut-être permis de mieux percevoir les enjeux de la transformation en cours. En effet, l’Angleterre du XVIIe siècle avait-elle bien évité le danger de la corruption provenant de la société commerciale, ou n’était-ce qu’une chimère défendue par ceux qui profitaient de son expansion?

Dans mon billet sur la colonisation de l’Algérie, j’ai évoqué le fait que l’expansion de l’empire colonial français, dans sa phase capitaliste, avait été l’occasion pour un groupe d’oligarques de s’appuyer sur le trésor public et l’exploitation de la colonie pour s’enrichir. Il s’agit d’un exemple où l’expansion territoriale et commerciale permet aux puissants de gruger les moyens de la puissance publique et par conséquent d’attaquer la liberté des humbles. Il est par conséquent permis de douter que, à la fin du XIXe siècle, le dilemme républicain eût été résolu. Cela n’est pas l’Angleterre du XVIIe siècle, il est vrai. Mais cela ouvre trois hypothèses :

  1. Soit la configuration de la propriété du XVIIe siècle anglais n’a pas fait disparaître le dilemme républicain, mais uniquement déplacé le problème;
  2. soit cette transformation a effectivement résolu le dilemme, mais ne s’est jamais réalisée en France (ce qui me paraît peu probable);
  3. Soit cette transformation a effectivement résolu le problème, mais des transformations postérieures du capitalisme l’ont réintroduit.

Je laisserai ces hypothèses ouvertes pour le moment, n’ayant pas les moyens de trancher entre elles sans pousser mes recherches plus loin.

Bibliographie

KENNEDY, Geoff. “The ‘Republican Dilemma’ and the Changing Social Context of Republicanism in the Early Modern Period.” European Journal of Political Theory 8, no. 3 (2009): 313–38.

La référence que j’aurais dû lire, mais n’ait pas lue avant d’écrire cet article :

Geoff Kennedy, Diggers, Levellers and Agrarian Capitalism: Radical Political Thought in 17th Century England, Lanham, Lexington Books, 2008.

Qu’est-ce que le « dilemme républicain »?

En m’intéressant à l’histoire de l’idée républicaine, j’ai progressivement découvert ce que certains historiens des idées appellent le « dilemme républicain ». C’est par un article de Geoff Kennedy que j’ai découvert cet enjeu et, bien que Geoff Kennedy ne soit pas l’inventeur de l’expression, c’est en résumant cet article que j’ai décidé d’exposer la question ici, en y ajoutant, comme j’en ai l’habitude, quelques annotations provenant d’autres références. L’objet de ce billet étant d’exposer les termes du dilemme républicain, je ne résumerai pas l’entièreté de l’article de Kennedy, mais seulement la première partie, quitte à revenir sur la seconde dans un autre billet.

Comme je l’ai expliqué dans mon billet sur Philip Pettit, l’un des enjeux fondamentaux de la pensée républicaine est la préservation de la liberté des citoyens. La préservation de cette liberté conduit pourtant de nombreuses sociétés à des impasses. L’idée de « dilemme républicain » repose sur le caractère inextricable d’une situation où, dans la création de moyens pour préserver la liberté, on crée en même temps des moyens capables de la détruire.

Les penseurs de la république romaine ont ainsi découvert qu’en donnant à leurs généraux l’imperium pour leur permettre de vaincre leurs ennemis qui menaçaient de les envahir, ils donnaient à ces mêmes généraux les moyens de prendre le pouvoir:

À ce titre, la résistance républicaine contre l’arbitraire et la loi absolue – ce que signifiait le pouvoir de l’imperium lorsqu’il était concentré dans les mains d’un seul homme – s’unissait à une conception territoriale de la liberté républicaine: l’expansion externe de l’imperium avait le potentiel d’affaiblir les institutions de l’autogouvernement républicain  (1).

Geoff Kennedy explique que, dans la Rome antique, les penseurs républicains n’avaient initialement pas de problèmes particulier avec l’idée d’expansionnisme territorial, associé à la gloire, la « grandeur ». La préoccupation première d’un Cicéron ou d’un Salluste était d’assurer la liberté des citoyens romains, et non de tout humain.

Machiavel s’est également préoccupé de cet enjeu, mais en y substituant, en partie au moins, l’expansion militaire par l’expansion commerciale. La « grandeur » des commerçants et banquiers florentins créait les conditions d’un « empire » menaçant les libertés républicaines. En effet, les Médicis ont fini par prendre le pouvoir à Florence, renversant la république. « La question qui préoccupait les républicains était: comment une république peut-elle préserver sa grandeur et sa liberté quand l’une semblait saper l’autre? Les républiques devaient-elles nécessairement suivre la voie de Sparte et demeurer des républiques statiques pour leur préservation? » .

Si le dilemme des anciens Romains et des Florentins du Moyen Âge est demeuré irrésolu et préoccupant, Kennedy avance que les théoriciens républicains anglo-américains sont parvenus à produire une synthèse nouvelle entre l’idée de république et celle d’empire, des « républiques impériales » commercialement très agressives. Son article vise à examiner les différences entre les approches républicaines italiennes et anglo-américaines pour discerner d’où vient que cette synthèse ait été rendue possible.

La formulation que Machiavel a fait du dilemme républicain (s’inspirant de la lecture de Salluste) serait la plus connue et la plus influente:

La grandeur (grandezza) était fondée sur l’établissement de la liberté républicaine, et la grandeur, en retour, était cruciale pour maintenir la liberté républicaine et les constitutions républicaines. Les deux se renforçaient mutuellement et étaient également nécessaires. Mais la grandeur portait en elle les graines de la destruction de la liberté républicaine. […] Le dilemme que Machiavel identifie provient de son assertion selon laquelle, bien que la grandeur mène au renversement de la liberté républicaine, l’alternative, la simple préservation de la liberté républicaine, entraîne également la condamnation certaine aux mains de conquérants étrangers. Ainsi, une république doit choisir entre la grandeur ou la simple préservation: si une république s’étend, elle va certainement dégénérer en un empire; si elle cherche à préserver sa liberté à travers la stabilité interne, elle va éventuellement devenir la proie d’ennemis agressifs .

Selon l’analyse de Kennedy, Machiavel estimait que l’expansion était nécessaire pour canaliser certains conflits externes et donner à la république un minimum de cohésion interne. Cette cohésion ne devait pas être absolue, car Machiavel croyait que le conflit était une garantie de liberté: elle devait en revanche être suffisante pour éviter que les conflits internes de la république ne dégénèrent et ne produisent son affaiblissement. Pour minimiser les dangers de l’expansion, Machiavel a imaginé trois modèles différents:

1) former une ligue grandissante de républiques égales;

2) conquérir et diriger les territoires voisins;

3)  former une ligue grandissante de républiques inégales entre elles, la république « principale » dominant les autres.

Aux yeux de Machiavel, une république était plus susceptible de préserver longtemps sa liberté si elle parvenait à être la république dominante dans le troisième modèle; elle était le moins susceptible de préserver longtemps sa liberté si elle adoptait le deuxième modèle, car celui-ci requérait un appareil militaire et fiscal très lourd.

Sans doute faut-il souligner combien ce discours repose sur la croyance, commune à l’époque moderne, en l’efficacité, voir la supériorité militaire et commerciale des républiques. En effet, à l’époque où écrivait Machiavel, la supériorité militaire des républiques par rapport aux autres formes de pouvoir était un thème commun chez les penseurs politiques. Non seulement l’exemple historique des Romains était-il à la mode, mais les succès militaires de Vénitiens et des Suisses fournissaient-ils des exemples contemporains permettant d’affirmer qu’il s’agissait d’une règle universelle. Même des penseurs monarchistes , comme Claude de Seyssel, s’intéressaient à la question en tentant d’imaginer des moyens par lesquels les monarques pourraient tirer bénéfice de cette propriété des républiques . Si, en effet, il existe une telle chose que le dilemme républicain, c’est que les républiques bien ordonnées étaient considérées comme pouvant se défendre efficacement contre leurs ennemis et d’effectuer naturellement la conquête des territoires voisins. C’est uniquement dans la perspective du succès que les généraux glorieux ou les citoyens trop riches peuvent corrompre la cité et menacer la liberté (pour des détails additionnels sur ce point, .

Comme je l’ai dit, Kennedy n’est pas le premier à évoquer le dilemme républicain. On trouve notamment des traces de celui-ci dans la fameuse leçon de Quentin Skinner, La liberté avant le libéralisme, bien que l’auteur de celle-ci n’emploie pas cette expression. Selon Skinner, chez Salluste comme chez Machiavel, la forme républicaine est valorisée avant tout parce qu’elle est celle qui permet le mieux d’atteindre la « grandeur », tout en notant, l’un comme l’autre, que si la liberté permettait la grandeur, la grandeur finissait immanquablement par menacer la liberté. « L’expérience prouve que jamais les peuples n’ont accru leurs richesses et leur puissance sauf sous un gouvernement libre. » écrit-il dans les Discours (cité dans ). Les garanties que la république offre pour les libertés des citoyens n’étaient qu’un bénéfice secondaire. Les républicains anglais (Harrington, Nedham, Milton) auraient, pour leur part, d’abord adopté cette perspective, mais pour évoluer rapidement vers une attitude exprimant « un soupçon croissant portant sur l’éthique de la gloire et la poursuite de la grandeur civique ». Au cours de l’interrègne, ils auraient fréquemment identifié Oliver Cromwell au général romain Sylla, le « traître […] qui leva une armée dangereusement nombreuse, lui apprit à convoiter les luxes de l’Asie, puis s’en servit pour prendre le contrôle de l’État romain […] ». Cette méfiance envers l’expansionnisme, de la part des républicains anglais, les auraient amenés à dévaluer ce bénéfice des républiques pour affirmer que le principal avantage des républiques étaient de pouvoir assurer la liberté et le bien-être de leurs citoyens .

Pourtant, si on suit Geoff Kennedy, au XVIIe siècle, les penseurs républicains anglais, lecteurs de Machiavel, commencèrent à se demander si ce dernier n’avait pas proposé une fausse opposition en suggérant que l’expansion menaçait nécessairement la liberté. Ils cherchèrent ainsi à s’inspirer du développement de la réflexion économique, notamment des penseurs mercantilistes, pour concilier la liberté de la république avec l’expansion commerciale impérialiste. Les penseurs républicains anglais se divisèrent à partir de ce moment en deux courants: d’une part, ceux qui demeuraient attachés à la doctrine de la vertu républicaine comme fondement et garantie de la liberté et critiquaient le développement de la société commerciale; d’autre part, ceux qui fondaient le républicanisme sur la doctrine de l’intérêt emprunté au mercantilisme.

À ce point de son analyse, Kennedy pose la question: « Suggérer que les républicains anglais ont résolu le problème que Machiavel disait être insoluble appelle la question: les problèmes concernant la liberté et l’empire auxquels étaient confrontés les républicains de deux sociétés différentes, dans deux périodes historiques différentes, étaient-ils les mêmes? » . Un peu plus loin, il indique la démarche qu’il compte suivre pour résoudre ce problème.

Ce qui doit être identifié, ce sont les voies par lesquelles l’activité commerciale – enracinée dans des relations sociales de propriété spécifiques – résultant en des formes particulières d’activité politique qui affectent le fonctionnement de l’État, et par conséquent les possibles stratégies d’expansion externes dans les deux contextes. Ce faisant, nous pourrons commencer à identifier les problèmes politiques spécifiques qui ont préoccupé les penseurs politiques dans deux contextes sociohistoriques différents .

Il s’agit donc de reposer la question du dilemme républicain en le réexaminant sous la lumière apportée par les outils de la critique historique. Ce faisant, Kennedy problématise la question sous un angle matérialiste. Je compte aborder son analyse dans un prochain billet. Pour le moment, il me semble qu’avoir exposé ce qu’est le « dilemme républicain » suffit.

À propos de ce dilemme républicain, j’observerai qu’il repose sur une réflexion qui comporte des éléments analytiques et des éléments normatifs. En termes de normativité, on peut discerner, en amont de la réflexion, la conceptualisation républicaine de la liberté: changez la définition de la liberté, et le dilemme pourrait s’en retrouver changé ou même disparaître. En aval du raisonnement, le dilemme lui-même relève du questionnement normatif: que faire pour éliminer le dilemme, ou au moins pour prolonger la période de liberté et éloigner la chute? Entre les deux, toutefois, on trouve un élément proprement analytique: quelles sont les dynamiques sociales qui réduisent ou accroissent la domination? Cet élément central est le plus susceptible d’intéresser les chercheurs en sciences sociales, fournissant un élément de problématisation qui leur permet de faire avancer leurs recherches. En contrepartie, les éléments normatifs relèvent d’enjeux plus philosophiques. L’ensemble relèvent donc d’une réflexion hybride, qui devrait appeler à la collaboration entre différentes disciplines pour être convenablement étudié.

Notes: 

(1) L’article de Kennedy étant rédigé en anglais, toutes les traductions sont de mon fait.

Bibliographie

SKINNER, Quentin. Machiavel. Paris: Seuil, 2001.

Une référence que j’aurais dû lire mais n’ait pas lue avant d’écrire ce billet:

David Armitage, « Empire and liberty », dans Martin van Gelderen et Quentin Skinner (dir.) Republicanism: A Shared European Heritage, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, pp.29-40.