La brève d’aujourd’hui reprend l’introduction du livre de Richard Rorty sur Contingences, ironies et solidarité, que j’ai déjà cité ici. Il s’agit cette fois d’une esquisse sur la manière dont la littérature peut aider à construire la solidarité humaine.
Pour en venir à voir d’autres êtres humains comme « des nôtres », plutôt que des « eux », il faut une description minutieuse de ce à quoi ressemblent ces êtres qui nous sont peu familiers et une redescription de ce à quoi nous-mêmes nous ressemblons. C’est une tâche qui relève, non pas de la théorie, mais de genres tels que l’ethnographie, le reportage journalistique, l’ouvrage comique, la dramatique documentaire et, surtout, le roman. Des fictions comme celles de Dickens, d’Olive Schreiner ou de Richard Wright nous livrent des détails sur les genres de souffrances qu’endurent des gens auxquels nous n’avions précédemment pas prêté attention. Des fictions comme celles de Choderlos de Laclos, Henry James ou Nabokov nous renseignent sur les formes de cruauté dont nous sommes capables et, ce faisant, nous permettent de revoir notre description. C’est pourquoi le roman, le cinéma et la télévision ont lentement mais sûrement remplacé le sermon et le traité en tant que principaux vecteurs du changement moral et du progrès. 1
Contrairement à beaucoup d’autres auteurs, Rorty n’essaie pas de proposer des romans édifiants, à caractère moraliste. Pour lui, c’est la description de la nature humaine qui aide à la compréhension et, en bout d’analyse, à la construction de la solidarité humaine. En un sens, ce qu’il propose ici rappelle cet extrait sur la transformation de Victor Hugo, que j’ai tiré d’un livre de Noiriel, lui-même grand lecteur de Rorty.
Notes
1Richard RORTY, Contingence, ironie et solidarité (Paris: A. Colin, 1993), 17.