Renaissance et Réforme: l’avis de Peter Burke

À la fin du dernier mois de novembre, j’avais écris un billet sur la relation complexe de Luther avec l’humanisme. J’y rapportais notamment l’avis de Jean Delumeau, selon lequel, en raison de sa théologie du péché originel, les protestantismes étaient des antihumanismes. Selon lui, cela pouvait être corroboré par le faible nombre d’humanistes étant passés à la Réforme. Aujourd’hui, en complément de ce précédent billet, le son de cloche différent de Peter Burke, qui défend la thèse inverse.

[…] nous constatons que certaines des grandes figures de la Réforme approuvaient la Renaissance et considéraient ses acteurs comme leurs précurseurs. Luther estimait que c’était Dieu qui avait fait revivre l’hébreu, le grec et le latin (via la diaspora grecque de 1453), à des fins évangéliques, et encourageait son ami Melanchthon à enseigner les humanités à l’université de Wittenberg. Ulrich von Hutten publia en 1517 le traité de Lorenzo Valla sur la « Donation de Constantin », pour en faire une arme dans le conflit entre Luther et le pape. Zwingli et Calvin avaient tous deux reçu une solide éducation humaniste avant de devenir protestants. Calvin, par exemple, commença sa carrière intellectuelle par un commentaire sur le traité de Sénèque De la clémence. Critique féroce du néoplatonisme qui avait cours dans le cercle de Marguerite de Navarre, Calvin n’en cite pas moins plusieurs fois Platon dans son oeuvre majeure, L’Institution de la religion chrétienne. Son disciple Théodore de Bèze louait François Ier d’avoir ressuscité l’hébreu, le grec et le latin, « les portières du temple de la vraie religion » .

Comme je l’ai indiqué, la thèse défendue par Burke, celle d’une continuité entre humanisme et protestantisme, est la plus intuitive et la plus aisée à comprendre. Les arguments de Delumeau demeurent essentiels pour prendre une distance prudente et critique face à cette thèse et en voir les limites. Mais l’extrait de Burke montre notamment l’insuffisance des exemples donnés par Delumeau lorsqu’il s’agit de prétendre que peu d’humanistes sont passés à la Réforme.

Voilà une situation où le lecteur aura à s’interroger sur le guide qu’il suivra.

Bibliographie

BURKE, Peter. La Renaisance européenne. Paris: Seuil, 2000.

Diffuser la Réforme

Puisque ces temps-ci, je révise un peu les notes que j’ai prises à l’occasion de cours que j’ai déjà donnés, je retombe sur quelques bricoles intéressantes. Comme je l’ai dit récemment, j’essayais en donnant mon cours d’Europe moderne de donner à mes étudiants le moyen de reconstituer après coup certaines choses que j’affirmais dans mon cours. Au moment d’enseigner la Réforme, quelques extraits renvoyaient à l’ouvrage de Bernard Cottret, Histoire de la Réforme protestante, récent, accessible et citant nombre de sources, qui tente une histoire de la Réforme sous l’angle d’une triple biographie, Martin Luther, Jean Calvin et John Wesley. L’extrait suivant provient de la partie sur la vie de Jean Calvin et illustre l’une des méthodes qui furent employés par les propagateurs de la Réforme pour gagner à leur cause les populations de certaines villes et régions. Trois mois après que Calvin se soit établi à Genève, du 1er au 8 octobre 1536, Calvin fut envoyé à Lausanne, à titre de représentant de Genève, pour débattre avec des contradicteurs catholiques des mérites comparés de la Réforme et du catholicisme. Cottret commente:

Débat contradictoire, dans la lignée de la disputatio universitaire médiévale. Mais depuis Luther, et plus encore, depuis Zwingli, cet exercice rhétorique avait permis aux protestants, rompus à la dialectique, de gagner de nombreuses cités, voire des régions entières. Zurich, Berne et Genève avaient connu leur dispute, véritable acte inaugural de la Réforme. La dispute était du reste sortie du cadre universitaire et apparaissait de plus en plus comme une véritable confrontation. Les populations entières étaient convoquées, à la demande des magistrats, déjà convaincus, pour assister à la défaite rhétorique du catholicisme romain. La recette est simple. Prenez deux ou trois partisans de la Réforme, particulièrement brillants, et opposez-les à un quarteron d’ecclésiastiques un peu dépassés par les événements, et obligés de s’exprimer en un allemand ou un français accessibles aux masses. Précisez les règles du jeu: le recours à l’Écriture. Et vous êtes sûr du résultat. Le duel est inégal; la « vérité évangélique » ne  peut que l’emporter là où il n’y a plus d’argument d’autorité. Du moins est-ce ainsi que l’on percevait, côté protestant, la situation. » 

Dans les guerres idéologiques, comme dans les guerres tout court, mieux vaut ne pas laisser de chance à l’adversaire!

Bibliographie

COTTRET, Bernard. Histoire de la Réforme protestante. Luther, Calvin, Wesley, XVIe-XVIIIe siècle [2001]. Paris: Perrin, 2010.

Référence que je n’ai pas lu et aurait dû lire pour ce billet:

É. Junod (dir.), La Dispute de Lausanne, Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, 1988.