Le fascisme italien et la conquête du pouvoir

Photo reprise ici https://www.nationalgeographic.fr/histoire/histoire-de-france-raids-vikings-en-france-que-reste-t-il-des-grandes-invasions

Lors d’un précédent billet, j’avais esquissé à grand traits l’histoire du fascisme italien. Je poursuis ici son histoire, toujours à partir du résumé qu’en fait Emilio Gentile dans le premier chapitre de son ouvrage « Qu’est-ce que le fascisme? »

Nous avions laissé les choses en 1920. C’est à cette époque que s’est formé et fait connaître le « squadrisme », le fer de lance du fascisme. Réagissant à une vague d’occupations d’usines par les syndicats, les squadras, groupes fascistes organisés militairement, menèrent une série d’attaques pour casser ces mouvements. Ils y gagnèrent la sympathie de la bourgeoisie et des classes moyennes qui craignaient « le danger bolchévique ». Le fascisme avait donc ses deux composantes organisationnelles et stratégiques : un parti politique et une nébuleuse de groupes violents pour casser ses ennemis politiques et se faire craindre.

Un moment clé arrive aux élections de mai 1921 où la nouvelle ascension du fascisme se traduit par le gain de 35 siècles « à l’issu d’une campagne électorale entachée de violences ». (p.33) Le président libéral Giovanni Giolitti avait favorisé ces gains en fournissant un certain appui aux fascistes. Son calcul était fondé sur la croyance que la violence squadriste disparaîtrait avec l’entrée des fascistes au parlement. La manoeuvre échoua (Mussolini se déclara après les élections fondamentalement républicain – donc antimonarchistes, contre Giolitti associé à un parti politique appuyant la monarchie constitutionnelle – ). Giolitti abandonna le pouvoir et les violences squadristes se poursuivirent contre les socialistes, les communistes, les républicains et les populistes.

À ce point arrive une crise de croissance du fascisme. Son développement rapide, au sein d’un mouvement dont l’organisation n’était pas spécialement centralisée, avec favorisé l’émergence de nombreux chefs provinciaux, leaders du squadrisme, qui prétendaient avoir joué un rôle plus important dans la diffusion du mouvement que le fondateur des Faisceaux de combat. De plus, avec la fin du Biennio Rosso et le déclin du parti socialiste, la popularité des fascistes commençait à s’effriter, la justification de ses violences se faisant moins crédible aux yeux de ceux qui les avaient d’abord supporté au nom d’une « saine réaction ». Un temps, Mussolini fut tenté d’adhérer à un « pacte de pacification » à l’initiative du gouvernement, avec les socialistes et les dirigeants du syndicat CGL, un pacte destiné à solidifier la place du fascisme au sein du parlementarisme. Les chefs provinciaux squadriste s’opposaient à cette pacification. Le crise entre le futur dictateur et les leaders provinciaux se solda par un compromis, Mussolini se faisant accepter comme Duce (chef, fonction plus symbolique qu’organisationnelle), tandis que le pacte de pacification fut abandonné. Les sections de combat, elles, furent intégrées au parti. Mussolini espérait y trouver un plus grand contrôle sur celles-ci, mais les sections provinciales conservèrent encore un bon moment leur autonomie de facto.

En 1922, le parti fasciste était devenu la plus grande force politique du pays. Il avait 200 000 membres, des associations de femmes et de jeunes, des syndicats en propre et bien sûr et surtout, une milice armée. Il multipliait les violences contre les partis rivaux , achevant de les désorganiser. Les violences squadristes continuelles ont suscité une tentative de réaction de la part de l’Alliance du travail qui tenta une « grève légalitaire ». Elles ne parvinrent qu’à provoquer un nouveau sursaut de répressions des miliciens fascistes, ce qui acheva de détruire les organisations ouvrières. Concernant l’opposition politique, pour éviter la formation d’une majorité antifasciste au parlement, Mussolini fit un nouveau compromis, déclarant que le fascisme respectait la monarchie, l’armée et la religion catholique. Il le fit juste avant le début d’une insurrection fasciste dans le nord et le centre du pays, la marche sur Rome. Cette manoeuvre, joignant le terrorisme et la négociation, permit à Mussolini d’accéder au pouvoir en se faisant offrir de former le nouveau gouvernement, un gouvernement de coalition incluant des fascistes, des libéraux, des populistes, des démocrates et des nationalistes.

« Pour la première fois dans l’histoire des démocraties libérales européennes et de l’État italien, le gouvernement était confié au chef d’un parti armé, qui était modestement représenté au parlement, qui rejetait les valeurs de la démocratie libérale et proclamait sa volonté révolutionnaire de transformer l’État en un sens antidémocratique. » commente Emilio Gentile (p.40).
Une fois installé au pouvoir, il restait à Mussolini d’en acquérir le monopole. La désorganisation des partis rivaux lui avait déjà bien pavé le terrain. La suite se fit en plusieurs phases.

L’année 1923 fut une année de consolidation, où se poursuivirent pour l’essentiel les stratégies déjà utilisées. Vis-à-vis des partis politiques, il s’agissait, face aux partis qui n’étaient pas résolument hostiles aux fascistes, de collaborer avec eux tout en s’efforçant de les faire disparaître en les assimilant au parti fasciste; contre les partis antifascistes, il ajouta la répression de l’État aux violences squadristes. Il utilisa la même stratégie pour prendre le contrôle d’administrations locales et créa des organisations fascistes dans le sud où elles étaient encore rares. (p.41)

En 1923-24, le parti fasciste traversa une nouvelle crise de croissance. L’extension du parti, et l’afflux d’opportunistes depuis qu’il s’était installé au pouvoir, avait accru les conflits et rivalités au sein du parti, ainsi que les affrontements entre nouveaux adhérents et anciens du parti. Plusieurs faisceaux devenaient « autonomes » ou dissidents, marquant une distance avec le pouvoir central, tandis que les membres se divisaient en deux factions sur la stratégie à tenir: des « révisionnistes » qui voulaient démilitariser le parti pour tout miser sur le parlementarisme, et des « intégristes » qui voulaient achever la conquête du pouvoir par une seconde vague de violences squadristes. Pour réduire leur autonomie et s’assurer sa mainmise, Mussolini réforma le PNF en lui assignant un « Grand Conseil » à sa tête, dont lui-même était le président, et où siégeaient les dirigeants du parti et les fascistes élus. Ce Conseil ne dirigeait pas seulement le parti fasciste, mais devint le véritable lieu où s’élaboraient les politiques du gouvernement. Toujours pour tenter de maîtriser les chefs squadristes, Mussolini créa (janvier 1923) la « Milice volontaire pour la Sécurité nationale »: il s’agissait de placer le squadrisme sous le commandement du chef du gouvernement. En pratique, les chefs squadristes de province conservaient une autonomie et un pouvoir considérable à leur échelle.

Pour renforcer sa position parlementaire, Mussolini réforma le système électoral pour donner une prime au parti majoritaire. Les élections de 1924 avaient été marquées de violences, dont le cas le plus médiatisé fut l’assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti, qui suscita une réaction antifasciste assez forte pour ébranler le fascsisme, mais qui échoua en raison de la mauvaise coordination des oppositions et l’appuie du roi à Mussolini (p.43). Cette réaction renforça par ailleurs le zèle squadriste, forçant à la fois Mussolini à composer avec eux, notamment en confiant la politique intérieur à des chefs squadristes qui utilisèrent ces nouveaux moyens pour renforcer la répression antifasciste, et à s’efforcer d’endiguer l’extrémisme fasciste pour maintenir sa mainmise sur le mouvement. Le chef squadriste Augusto Turati, recruté parmi les extrémistes mais relativement docile envers le Duce, travailla à l’épuration des éléments rebelles du parti entre 1926 et 1930.
Parrallèlement, cette phase est celle de la mise en place du régime fasciste, à travers un processus de démolition du régime parlementaire dans une façade de continuité avec la monarchie constitutionnelle. En 1925, la liberté d’association est abolie, mettant fin aux partis politiques hors du PNF. À la fin de l’année, les députés d’opposition sont déchus de leur poste. En 1926, les maires sont placés sous l’autorité du préfet et leur nomination est décidée par décret royal. Les journaux d’oppsition furent supprimés « ou changèrent de propriétaire » (p.46) et les critiques du gouvernement ou de l’État fut criminalisé à travers une lois rétablissant la peine de mort pour les crimes contre la « sécurité de l’État », un crime confié à un tribunal spécial rigoureusement loyal au régime. Outre de peine de mort, ce tribunal pouvait également prononcer d’autre peines, telle que la « rélégation » (obligation à travailler loin de leur lieu de vie habituel, donc la perte de leur emploie et domincile actuel). Toujours en 1926, la démocratie interne du parti fasciste fut abolie et le parti mis entièrement sous les ordres du Duce.
En 1928, il y eu une réforme de la représentation politique, : désormais, le Grand Conseil choisissait les candidats à la chambre parmi des listes proposées par les les syndicats fascistes et quelques autres organismes. Les électeurs devaient les approuver ou les rejeter en bloc. Le Conseil gagna également des compétences constitutionnelles, la faculté de déterminer une liste de successeurs comme chefs de gouvernement et d’intervenir dans la successsion monarchique. Il cessait dès lors d’être un gouvernement « fantôme » pour devenir officiellement avec le Duce l’organe principal du régime fasciste.
Je terminerai cette esquisse de l’histoire du fascisme italien dans un troisième et dernier billet.

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