On aura sans doute remarqué que les derniers billets portaient surtout sur l’histoire antique. Je suis en effet entré dans une longue passe d’intérêt pour cette période. Mais ceux qui me connaissent savent que j’ai toujours plusieurs lectures en cours en parallèle sur plusieurs sujets différents.
Un ouvrage que j’ai commencé il y a quelques temps est le livre de David Colon, Propagande, la manipulation des masses dans le monde contemporain.
Je n’en suis qu’à la moitié et il n’est pas certain que je souhaite en faire un compte-rendu complet à la fin de la lecture. Néanmoins, l’introduction du livre constitue un texte ayant un intérêt en propre et pourrait très bien être lue à part. Il s’agit pour lui de passer en revue un ensemble de lieux communs sur le thème de la propagande. Vu l’intérêt que présente cette critique des idées reçues, il m’a semblé qu’il valait la peine d’en faire ici un résumé.
Premier et principal lieu commun, on a tendance à associer la propagande aux régimes autoritaires. Au contraire, pour Colon, « la propagande est fille de la démocratie », car la démocratie, en étendant la participation politique, crée un besoin accru chez les dirigeants de diffuser des mythes, des idéologies et l’encadrement des masses.
La seconde idée reçue consiste à dire que la propagande est avant tout politique. En reprenant Jacques Ellul et en évoquant Gramsci, Colon rappelle qu’au-delà de la propagande politique, on peut également évoquer une « propagande sociologique » définie, selon Ellul, comme « l’ensemble des manifestations par lesquelles une société […] tente d’intégrer en elle le maximum d’individus, d’unifier les comportements de ses membres selon un modèle, de diffuser son style de vie à l’extérieur d’elle-même et par là de s’imposer à d’autres groupes » (p.14). Propagande politique et propagande sociologique sont cependant liés, car la seconde tend à fournir le contexte et le matériaux qui permettra à la première de se déployer.
La troisième idée reçue serait de de supposer que le propagandiste cherche à modifier les opinions du public cible. En réalité, la propagande cherche davantage à conforter des opinions préexistantes ou à les récupérer pour servir une fin donnée qu’elle ne cherche à convaincre. Par ailleurs, il s’agit souvent de détourner l’attention, de faire diversion, ou de taire quelque chose. Enfin, le propagandiste est moins souvent intéressé par la croyance de sa cible que par son action (voter dans le bon sens, acheter un produit) ou son inaction (démobiliser ou décourager un militant opposé). Dans cette perspective, faire changer les opinions de la population est parfaitement secondaire.
Quatrième idée reçue, la propagande aurait essentiellement recours au mensonge. Or, elle est en réalité beaucoup plus efficace quand elle a recours à la vérité. Vérité partielle, énoncée de manière orientée, accompagnée d’une interprétations fallacieuse, mais vérité néanmoins. « Croire que la propagande n’est que mensonge, » signale-t-il, « expose au risque, face à une vérité de fait, d’être plus facilement enclin à croire dans l’interprétation fallacieuse qui en est donnée. » (p.16).
Cinquième idée reçue, l’idée que la propagande « serait un mal en soi ». À cela, Colon propose deux réponses. D’une part, qu’il y a un continuum entre une « propagande blanche » (ouvertement assumée et honnête sur ses finalités) et une « propagande noire » (secrète et manipulatrice) qu’il faut juger en fonction de leur positionnement. D’autre part, que tout dépend de l’objet de la propagande et du public ciblé – encore que je ne suis pas certain d’être d’accord avec ce dernier point.
Enfin, la sixième et dernière idée reçue serait que la propagande touche en particulier les gens des classes les moins instruites. En réalité, ce serait plutôt l’inverse, pour plusieurs raisons. D’abord parce que les individus les plus instruits sont également les plus exposés aux différents canaux de diffusion de la propagande. Ensuite, parce que qu’un individu est plus sensible à la propagande quand ses besoins de base sont remplis et quand il a par ailleurs un ensemble de référents culturels lui permettant de comprendre ceux utilisés par les propagandistes. Enfin, parce que la propagande répond à un besoin des gens instruits : « plus l’individu instruit et informé réalise la complexité du monde qui l’entoure, plus il accède à une information riche et variée,et plus il a besoin d’un cadre explicatif simple. » (p.17-18)
La liste et l’argumentation de Colon peut être soumise à discussion, j’y apporterais volontiers quelques nuances moi-même sur certains points, mais elle me paraît digne d’intérêt et d’être partagée.