Dante: bref regard sur l’arrogance intellectuelle

J’ai déjà beaucoup écrit, sur ce blogue, sur Dante et particulièrement son ouvrage La Monarchie (voir en particulier ici, , par-ci et par-là). Je reviendrai ici, l’espace d’une brève, sur une citation qui en est issue, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec son propos principal. La première phrase du second livre de De Monarchia est la suivante :

«Nous nous étonnons d’habitude d’un fait nouveau dont nous ne réussissons pas à connaître la cause; mais, une fois cette cause connue, nous regardons de haut, prêts à les railler, ceux qui demeurent dans l’étonnement.»[1]

En introduisant ainsi le livre dont la thèse est que le détenteur légitime du pouvoir suprême, à la tête de l’ensemble des États du monde, devait être l’Empereur, Dante se souvient vraisemblablement que, avant d’être exilé de Florence, il était du parti guelfe (les partisans du Pape). Ce n’est qu’en exil et au moment de rédiger La Monarchie pour appuyer les ambitions de Henri VII de Luxembourg, qu’il a rejoint le parti opposé, le parti gibelin (les partisans de l’Empereur). Il avance ainsi qu’il ne peut mépriser «ceux qui demeurent dans l’étonnement» (les guelfes), puisqu’il a déjà été parmi eux, mais encore qu’il peut les convaincre de le rejoindre, s’il leur explique les motifs de son passage de l’autre côté.

Pour ma part, je pense souvent à ce passage quand je pense à l’arrogance des intellectuels (à laquelle je cède à l’occasion, bien que je tente de lutter contre ce mauvais penchant) à l’endroit de ceux qui ne le sont pas. Cette arrogance témoigne d’un manque de réflexivité : d’une méconnaissance de soi. Trop souvent, nous oublions que nous consacrons à la réflexion active, la documentation et l’argumentation une proportion de notre temps qui est hors de portée de la plupart des gens — du temps plein, car c’est notre occupation principale. Trop souvent, nous apprenons par osmose sans être capables d’identifier le cheminement ou les faits décisifs qui nous ont amenés à destination. Par conséquent, trop souvent, nous sommes incapables de guider autrui sur ce même chemin.

Pour se défaire de cette arrogance, un gros travail sur soi, un gros travail de mémoire me semble nécessaire à chacun.

 

Note

[1] DANTE, « La Monarchie », in DANTE, Oeuvres complètes, Paris, Librairie Générale Française, 1996, p. 460.

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