J’achève actuellement la lecture d’un ouvrage d’Anthony Grafton, Les origines tragiques de l’érudition. Une histoire de la note de bas de page. Petit livre touffu, au fil conducteur pas toujours facile à suivre, il fourmille de petites trouvailles plaisantes. Je reviendrai peut-être à un autre moment sur l’ensemble, mais pour aujourd’hui, je me contenterai d’une curiosité qu’on y apprend.
L’histoire se situe au XVIIIe siècle, dit « Siècle des Lumières » et la note de bas de page fourmille. Ce n’est pas tant la note érudite qui a la faveur des philosophes — quoique les antiquaires et les juristes, eux, la chérissent — que la note de bas de page littéraire, polémique et satiriste. Le trait tiré au bas de la page est l’annonce des développements où l’auteur ridiculise ses adversaires à qui mieux mieux.
Or, en Allemagne le festival des notes infrapaginales atteint des sommets d’intensité. Les lecteurs sont parfois friands d’un livre pour la seule vivacité des passes d’armes observables dans le sous-sol du texte. Si bien qu’il fallait que la note infrapaginale fasse elle-même l’objet d’une satire.
Voilà qu’en 1743, l’inévitable se produit et il prend pour titre Inkmars von Repkow Noten obne Text, écrit par un certain Rabener. L’auteur annonce la couleur : il n’écrit que pour la gloire et la fortune. Or, à quoi bon écrire un livre ? Ce n’est pas là ce qui intéresse les lecteurs : ces derniers ne cherchent que le commentaire que l’auteur adressera à d’autres auteurs. Autant passer directement à ce qui importe : voilà un livre qui n’aura que des notes de bas de page — écartons le superflu !
Notons que la satire formule à la note infrapaginale un reproche classique, encore fréquemment formulé aujourd’hui et que j’avais noté dans mon précédent billet sur la question : l’auteur abusant des notes n’assumerait pas son propos, voire ne penserait pas par lui-même.
Certains — écrit Rabener — dont on aurait juré que la Nature leur avait tout permis, sauf un destin de savant, et qui, sans jamais penser par eux-mêmes, glosent les pensées des Anciens et celles d’autres grands hommes, sont devenus eux-mêmes grands et redoutables ; et ceci grâce à quoi ? Grâce à des notes.[1]
Rabener a réussi son coup. Son livre fut un succès de librairie — je l’achèterais peut-être moi-même ! – et a déclenché rire sur rire, les gorges chaudes se déployant sur la longue durée. Forcément : la seule idée de ce livre me fait moi-même rire aujourd’hui.
Référence
[1] Cité par Anthony GRAFTON, Les origines tragiques de l’érudition : une histoire de la note en bas de page, Paris, Seuil, 1998, p. 99.
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