Le fascisme italien dans sa phase totalitaire

Je termine mon petit passage en revue de l’histoire du fascisme italien. Ce billet sera un petit peu plus court que les précédents, parce que l’émergence et la conquête du pouvoir m’intéressaient davantage que son maintien. Il reste que la série ne serait pas complète si je n’y consacrait pas quelques centaines de mots.

Au point où j’avais laissé les choses, le fascisme mussolinien avait terrassé la démocratie et Mussolini avait éliminé ses rivaux potentiels. En contrôlant les violences du squadrisme après avoir profité de celui-ci pour éliminer l’opposition politique, en passant une compromis avec les institutions traditionnelles, le fascisme s’était installé au pouvoir. Il avait produit un régime autoritaire et aboli le régime parlementaire traditionnel tout en entretenant une certaine illusion de continuité: la chambre existait toujours, mais elle était solidement tenue en laisse par le parti fasciste. Des élections existaient encore, mais elles avaient pris un caractère plébiscitaire en rupture complète avec les principes démocratiques. Les nouvelles élections à liste choisie par le Conseil produisirent évidemment une Chambre intégralement fasciste, tandis que le Sénat se fascisa progressivement, au fur et à mesure que de nouveaux sénateurs fascistes étaient nommés et que d’anciens sénateurs antifascistes se retiraient.

Sur le plan de l’organisation du travail, le fascisme avait prétendu résoudre la crise du capitalisme par le corporatisme, alternative opposée au communisme. Cette idée, le fascisme n’en était pas l’inventeur, elle était plutôt dans l’air du temps et promue d’abord par l’Église catholique1. La première mouture du projet corporatiste fasciste apparaît tous la forme de la Confédération des syndicats fascistes par un dénommé Edmondo Rossoni en 1922. La suppression de la liberté d’association avait supprimé tout syndicat non fasciste, laissant le champ libre à ces organisations qui n’étaient pas syndicales au sens classique, mais ambitionnaient plutôt de placer sous leur coupe l’ensemble des travailleurs et employeurs. Le projet n’aboutit pas, car Mussolini procéda à la dislocation de la confédération en plusieurs fédérations, ce qui eu pour résultat de laisser davantage les coudées franches au patronat. Un ministère des Corporations fut créé en 1926, mais les corporations elles-mêmes ne firent leur apparition qu’en 1934. Même après cette création tardive, elles ne furent durant toute la période que des organismes dysfonctionnels incapables d’être la réponse originale au capitalisme qu’elles prétendaient être. L’organisation économique réelle de l’Italie fasciste demeura une organisation capitaliste relativement classique, dominée par le patronat, et la politique fut globalement libre-échangiste avant 1929 et protectionniste par la suite.
En 1929, le régime fasciste apporta la dernière pierre à son édifice organisationnel avec une conciliation avec l’Église catholique.
Fort d’une mainmise complète sur les institutions et ayant écrasé et interdit toute opposition, le régime fasciste devait encore réaliser son projet totalitaire. L’absence d’opposition organisée fait en effet la dictature, mais elle ne fait pas le totalitarisme, qui exige la mise en place d’un régime d’adhésion de masse. La propagande, déjà bien ancré dans le paysage culturel italien, fut placée sous l’égide d’un ministère à partir de 1935 (p.51). Une politique culturelle vigoureuse et un mécénat d’État permirent l’adhésion de nombreux artistes et intellectuels, sans qu’ils se fassent imposer un « art officiel », dans ses formes, tandis que les thèmes et les interprétations d’ensemble étaient encadrées. L’éducation et le parti furent mis au service de la création de l' »Italien nouveau » qui était l’idéal du parti fasciste (p.53). En 1939, l’obligation d’aller à l’école était associée avec l’obligation de faire partie des Jeunesses fascistes. La création des faisceaux féminins associait les femmes avec la conquête des esprits. Techniquement reléguée aux rôles traditionnels de mère, épouse et éducatrice, la femme fasciste était associée – dans le rôle d’éducatrice – à nombre d’activités sociales où elle devait participer de la création de « l’homme nouveau » qui était l’obsession du fascisme (p.55).
L’accélération du processus totalitaire se situe principalement à la fin des années 1930. La conquête de l’Éthiopie, entre 1936 et 1939, fournit à la dictature le succès militaire et populaire dont elle avait besoin pour renforcer sa mainmise sur la société. Cette entreprise coloniale était populaire, car elle « vengeait » une défaite qui avait humilié l’Italie unifiée en 1896 à Adoua (au terme d’une autre tentative coloniale). Elle affirmait aussi la place de l’Italie parmi les puissances coloniales et devait être un premier jalon d’un grand empire marquant une « civilisation nouvelle » qui prenait appuie sur l’imagination d’un nouvel empire romain.
Émilio Gentile mentionne une série de mesures de renforcement du totalitarisme:

  • La création des Jeunesses fascistes (1937)
  • Le renforcement des prérogatives du parti fasciste
  • l’aboliton de la chambre des députes et son remplaceme nt par la chambre des faiceaux et corporations (1939)

C’est également dans cette phase que les lois antisémites et racistes (adoptés à l’occasion de la guerre d’Éthiopie) furent promulguées. Ces lois répondaient au désir du Duce de créer une « race » italienne ethniquement homogène, au sentiment qu’il avait que le « judaïsme international » était un moteur majeur de l’antifascisme et au rapprochement avec l’Allemagne nazie dont l’antisémitisme était plus affirmé.

Malgré des réticences initiales face à la montée du nazisme allemand (il voyait en Hitler un fou exalté), Mussolini se rapprocha de celui-ci à la fin de la guerre d’Éthiopie et fini par engager l’Italie dans la Seconde Guerre mondiale. Le résultat fut catastrophique et les défaites italiennes s’enchaînèrent: en Éthiopie, en Libye, en Grèce, avant d’être sur le territoire italien même. En 1943, sous la pression alliée, le régime mussolinien s’effondra et fut remplacé par un nouvel État fasciste, la « République de Salò », aussi appelée « république sociale italienne ». qui dura de 1943 à 1945. Chaotique et désorganisé, ce dernier avatar fasciste prit fin avec la défaite définitive face aux Alliés.

Note

1L’Église catholique propose le corporatisme comme remède aux maux du capitalisme et alternative au socialisme et au communisme matérialistes dans l’encyclique Quadragesimo Anno. L’association du patronat et des ouvriers se veut une résolution de la fracture sociale résultant de la division entre exploiteurs et exploités. LAMONDE, La modernité au Québec 1, 85‑90, 196-198. Sur l’